Il s’est hissé dans le top 10 mondial tout en menant de front une carrière d’entrepreneur. Réputé pour son talent lorsqu’il s’agit de dénicher et de former de jeunes chevaux, le discret Autrichien de 48 ans s’est livré à Equi Book.

Max Kühner, qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir au quotidien?

Les instants où je ressens la plus intense satisfaction, c’est quand je monte un jeune cheval et qu’un infime détail, parfois à peine perceptible, me fait penser: «Tiens, il progresse, il pourrait bien devenir un cheval de haut niveau.» Travailler sur ces petits succès, les rechercher, les apprécier, ce sont mes plus grandes joies. Il est évident que j’éprouve beaucoup de plaisir quand je réalise une bonne performance dans un Grand Prix. Mais ma passion, mon plaisir profond, c’est quand je ressens ces petits riens qui se mettent en place sur un jeune cheval.

Votre famille est-elle impliquée dans les sports équestres?

Oui. C’est d’autant plus agréable de partager cela que c’est une activité qui prend beaucoup de temps. Mon épouse est cavalière, et les plus âgées de nos trois filles, qui ont 12, 9 et 1 an, montent aussi. La nouvelle génération arrive déjà, puisque l’aînée participe à des internationaux en catégorie Children! De mon côté, je ne suis pas né dans une famille de cavaliers de concours. Mes parents ont toujours aimé les chevaux, mais ils ont découvert le sport en 1972, lorsqu’ils étaient bénévoles pour les Jeux olympiques de Munich. Depuis, ils ont toujours eu un ou deux chevaux de loisir.

Vous êtes donc parti de rien, ou presque…

Dans ce sport, venir d’une famille de cavaliers est un vrai avantage. On en parle souvent avec Martin Fuchs, qui est un bon ami et a pu construire sa carrière en partant d’une base familiale hors du commun. On peut voir sa trajectoire sportive comme une autoroute, large et toute droite: dès le début, il a fait tout juste. Moi, je me sens comme un explorateur dans la jungle, un type perdu qui doit lever les yeux vers le ciel pour se repérer ! Je me trompe neuf fois avant de comprendre comment faire juste. Cela dit, on a beau aller moins vite que sur une autoroute, la jungle a aussi son charme, et on y apprend sans cesse des choses. Puis on peut partager ces connaissances: mes enfants sont déjà bien plus professionnels que je ne l’étais à trente ans!

Parlez-nous de l’organisation de votre écurie…

Ça a toujours été un rêve d’avoir mes propres installations, et je suis devenu propriétaire en 2010. Au sein de MK Sporthorses, on compte environ 80 chevaux, dont 20 vivent dans notre écurie de concours: ce sont mes montures de tête et celles de mes enfants. Nous habitons sous le même toit que les chevaux, les enfants grandissent littéralement avec eux, c’est génial.

Vous faites vous-même un peu d’élevage, c’est juste?

Oui, entre 5 et 10 poulains naissent chaque année. Il faut dire que le modèle de MK Sporthorses repose largement sur la formation. En plus de nos poulains, nous achetons donc régulièrement des jeunes âgés de 3 à 6 ans pour les construire de A à Z. À part PSG Future, tous mes chevaux de haut niveau ont suivi ce chemin. Elektric Blue, par exemple, est arrivé chez nous à 3 ans. J’aime énormément ce processus, pour lequel je peux compter sur une excellente équipe de cavaliers à la maison. Mais nous avons aussi opté pour cette approche car nous n’avions tout simplement pas de sponsors pour nous acheter des chevaux prêts pour le haut niveau. Après le départ de PSG Final, avec lequel j’avais pris une 2e place dans l’étape de Coupe du monde de Stuttgart, je me suis posé beaucoup de questions: comment trouver, et surtout comment garder de bons chevaux? Cette réflexion a abouti à la création d’EIC, pour Equestrian Investment Cooperation. Inspirée de ce qui se fait dans le monde des courses, cette organisation réunit des acteurs du monde du cheval et de l’économie. Nous acquérons ensemble de bons jeunes chevaux dans le but de les commercialiser, tout en me réservant un droit de préemption.

Il faut dire aussi que vous avez le don de dénicher des montures hors du commun. Qu’est-ce qui attire votre oeil chez un cheval?

Je n’ai pas une liste de critères à cocher, mais suis plutôt attentif à un ensemble de facteurs. Surtout, il faut leur laisser le temps d’évoluer. Lorsqu’ils sont chez moi, ils sont en mode «apprentissage», je ne suis pas dans une optique commerciale. Mes jeunes chevaux font quelques concours puis retournent en troupeau. J’ai appris au fil des ans que ce n’est pas une bonne chose que de garder un jeune longtemps à haut niveau. Il ne faut pas voir sa carrière comme un escalier qui monte sans cesse, mais plutôt comme une suite de vagues. Avec des jeunes chevaux talentueux et volontaires, on peut être tenté de sauter des marches, mais ce n’est jamais bon. Tenez, au début de ses 7 ans, Elektric Blue était au parc, pataugeant dans un mètre de neige. Après l’avoir remonté quelques semaines, on l’amené au Sunshine Tour. Pour le cheval, ce genre de planning est comme un nouveau départ: puisqu’on lui demande quelque chose qu’il sait déjà faire, il est dans une position de réussite, éprouve du plaisir et de la motivation à travailler.

Même si vous faites partie des meilleurs cavaliers du monde, ce n’est pas votre seul métier…

Mon père voulait que je fasse des études avant de me consacrer aux chevaux. Il a dû m’y pousser, mais a posteriori je lui en serai toujours reconnaissant. Après mes études, je me suis lancé dans les chevaux, mais tout ne s’est pas passé comme prévu. J’ai décidé de trouver un travail et de pratiquer le sport à côté. Il y a 15 ans, j’ai créé avec un associé Leaseforce AG. Ce groupe, spécialisé dans le leasing compte désormais cinq filières, notamment en Allemagne, en Suisse et en Autriche.

Cumuler ces deux casquettes doit être complexe, non?

Cela a demandé quelques ajustements: nous avons notamment développé des logiciels qui me permettent de travailler lorsque je voyage. Quand je suis à la maison, je me lève tôt pour monter et je rejoins mon bureau entre 9 et 10 heures. Puis je travaille jusqu’à ce que tout soit fini. Je mets toutefois un point d’honneur à rentrer pour manger en famille le soir. Au-delà de cet aspect logistique, cette double casquette a surtout de sérieux avantages. Elle me permet de ne pas rester focalisé sur une seule chose. Je peine parfois à retrouver un calme intérieur, j’ai l’impression d’être un hamster qui tourne dans sa roue, et ça fait du bien de pouvoir penser à autre chose. Et puis gérer une écurie comme la nôtre, ce n’est pas simplement monter à cheval, c’est aussi du management: pas moins de 12 personnes y travaillent. Pour gérer cela, je suis content d’avoir le savoir-faire de mon autre métier. Je suis un grand fan de listes et de tableaux, tout est très organisé à l’écurie!

Comment définiriez-vous votre monte?

Je garde un seul objectif en tête: toujours faire au plus simple. Dans l’équitation comme ailleurs, un processus inutilement complexe ne tiendra pas sur la durée, et je suis convaincu qu’on ne peut jamais faire trop simple. Cela vaut pour ma monte comme pour la formation de mes chevaux. On m’a par contre souvent reproché de ne pas prendre assez de risques. Gagner en vitesse demande beaucoup de travail, et j’ai parfois besoin qu’on me pousse un peu.

Vous avez changé de nationalité en 2015, troquant les couleurs allemandes contre celles de l’Autriche. Était-ce un passage obligé pour accéder au plus haut niveau mondial?

En Allemagne, il y a énormément de bons cavaliers et peu de places dans les championnats. Si j’avais gardé mon passeport allemand, je n’aurais eu aucune chance, parce que je n’aurais pas eu les moyens d’avoir suffisamment de chevaux pour rester au top. Je ne regrette pas une seconde ce choix qui me permet de prendre le temps de construire mes chevaux: je peux emmener un jeune cheval dans une Coupe des Nations ou une étape de Coupe du monde, ce qui aurait été impossible avant cela.

Vous avez siégé au sein du Jumping Committee de la FEI de 2013 à 2015, vous êtes membre de l’IJRC. C’est important pour vous de vous investir pour le sport?

On est tous les jours concernés par le sport, et il y a beaucoup d’aspects sur lesquels on n’a pas la moindre prise. Alors ça me semble naturel de donner mon avis lorsque l’occasion se présente. Il ne sort jamais rien de bon quand chacun reste dans son coin. Si quelque chose ne me plaît pas, il en va de ma responsabilité de prendre la parole, parce que j’aime mon sport et les chevaux. Ensuite, aux autres de me répondre ou de me dire de me taire, mais au moins j’aurai créé le dialogue. Nous autres cavaliers avons tendance à rester chacun pour soi, mais on a besoin de gens qui s’engagent pour faire avancer les choses.

Facile à dire, mais ça demande du courage de prendre la parole…

C’est vrai, mais ça fait aussi beaucoup de bien. Chaque élément qui ne me plaît pas me pèse, un peu comme un sac à dos qui s’alourdirait en permanence. De temps en temps, c’est important de tout poser sur la table, de vider son sac pour repartir plus léger!