Avec deux médailles olympiques autour du cou et un titre mondial, Laura Kraut est une figure incontournable du sport de haut niveau. L’Américaine de 56 ans est aussi passionnée par les chevaux qu’à ses débuts. Rencontre exclusive.

Laura Kraut, expliquez-nous à quoi ressemble votre planning annuel, entre les Etats-Unis et l’Europe…

Depuis une quinzaine d’années, j’ai la chance de partager mon temps entre la Floride, où le temps est idéal durant l’hiver, et l’Europe le reste de l’année. Lorsque je suis aux Etats-Unis, c’est très agréable de ne pas à avoir à monter dans un avion chaque semaine pour aller en concours dans un lieu différent, on peut manger à la maison le soir. C’est un confort qui est appréciable. Mais les cavalières et les cavaliers le savent bien, les meilleures compétitions du monde sont ici, en Europe.

Vous étiez habituellement basée pour l’été en Angleterre, dans les installations de Nick Skelton, votre compagnon, mais ce n’est plus le cas. Pourquoi?

Depuis le Brexit, ce n’est plus possible d’entrer et de sortir aisément du territoire britannique. Les coûts sont devenus exorbitants et les chevaux peuvent se retrouver à attendre 8 heures à la frontière. Cela fait deux ans que nous sommes basés en Hollande, près de Peelbergen. C’est dommage, car Nick et moi sommes tous deux très attachés à notre domaine en Angleterre. Nos chevaux à la retraite, comme Cedric,  y sont, et je ne peux plus les voir aussi souvent que je le souhaiterais.

Parlez-nous de l’importance de votre famille dans votre carrière…

Ma sœur cadette et moi avons grandi en montant à cheval. Mary Elizabeth aime cela, mais contrairement à moi, la compétition ne l’a jamais vraiment intéressée: elle préfère le management et gère à la perfection le bien-être des chevaux comme l’enseignement aux élèves. On travaille ensemble depuis plus de 30 ans. C’est génial d’avoir une personne sur qui vous pouvez compter à 100%. Nous avons aussi une amie très proche, Viviane, que nous connaissons depuis que nous avons 10 ans. Elle s’occupe du management, des voyages. Nous sommes comme trois sœurs.

De combien d’élèves êtes accompagnée lorsque vous venez en Europe?

Entre 4 et 6, en général. Certains tournent en 5* et d’autres en 2*. Ce qui est essentiel à mes yeux, c’est qu’ils soient passionnés et qu’ils aiment les chevaux.

Le coaching tel que le pratiquent les Américains est quelque chose de particulier. En quoi consiste-t-il?

Il repose principalement sur un encadrement permanent. J’ai la chance de travailler avec ma sœur, mon assistante Julie Welles et bien sûr Nick Skelton. A nous quatre, nous pouvons être présents pour tous, tout le temps. Si je suis en concours un week-end avec certains élèves, les autres peuvent s’entraîner avec ma sœur à la maison. Cela fonctionne bien, tout le monde se sent entouré. Il faut dire que lorsqu’on débarque des Etats-Unis, ce n’est pas évident d’arriver sur le circuit européen. C’est agréable de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un.

Tous les cavaliers n’apprécient pas de jouer les coachs, mais vous oui. En quoi cette activité nourrit-elle votre pratique du sport?

J’ai commencé à entraîner quand j’avais 22 ans. A l’époque, c’était tout simplement une facette de mon business model: je montais des chevaux pour des clients et j’enseignais. C’est comme cela que je gagnais ma vie. Il y a eu des périodes de ma vie où j’ai moins enseigné, ce qui m’a permis d’être plus plus focalisée sur le sport et parfois, puis des gens très motivés m’ont demandé de les suivre et j’ai accepté. J’éprouve beaucoup de satisfaction quand je vois des cavaliers progresser à force de travail.

Cela fait plus de 30 ans que vous figurez parmi l’élite mondiale. Comment avez-vous vu votre sport évoluer?

La discipline devient de plus en plus compétitive, avec énormément de couples au top. Plus chère, aussi. C’est à se demander si le niveau sportif peut encore aller plus haut. Mais on pourrait être étonnés, peut-être aura-t-on la même conversation dans 5 ans! Cela devient toutefois toujours plus compliqué pour un jeune cavalier d’accéder au haut niveau: les concours où l’on peut glaner beaucoup de points ranking, et auxquels il faut donc participer pour grimper au classement mondial, sont inaccessibles à celles et ceux qui ne figurent pas déjà parmi les meilleurs. C’est un paradoxe.

Le circuit des Coupes des Nations reste, lui, un bon moyen d’ouvrir les portes aux jeunes, non?

Oui, et notre chef d’équipe Robert Ridland essaie justement de donner l’opportunité à nos jeunes cavaliers d’avoir accès à ces grands concours. Cela peut les aider. Si cela se passe bien, ils obtiennent des points et les portes d’autres concours s’ouvrent.

On vous voit souvent reconnaître avec les autres membres de l’équipe américaine. Vous semblez y jouer un rôle extrêmement important…

J’adore les Coupes des Nations, et j’aime soutenir les jeunes cavaliers qui y prennent part. Entrer en piste et affronter le parcours demande du courage: ces épreuves sont très suivies, et s’ils font la moindre faute, ils savent qu’ils feront l’objet de critiques. Le challenge est d’autant plus grand que, aux Etats-Unis, nous n’avons pas beaucoup de Coupes des Nations. Nos jeunes cavaliers n’ont pas l’occasion de se familiariser avec ce format comme le font les Européens.

Revenons à vous. Est-ce qu’aujourd’hui, vous montez toujours à cheval pour les mêmes raisons qu’à vos débuts?

Je suis pratiquement sûre que oui. J’aime toujours autant monter, j’aime les chevaux, j’aime construire de jeunes chevaux… Et j’aime gagner, évidemment! J’adore le haut niveau et j’entends m’y maintenir tant que je le pourrai physiquement. Je suis aussi motivée qu’à mes débuts. Quand tu as goûté à ça, c’est difficile de s’en passer. Regarder le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle depuis les tribunes, cette année, c’était douloureux. Je n’avais qu’une seule envie, c’était d’être en piste!

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 sont un objectif pour vous, exact?

Oui, ils figurent en bonne place dans mes plans. Baloutinue, que je montais à Tokyo, aura 14 ans, un âge idéal pour une échéance comme celle-ci, tandis que j’ai d’autres bons jeunes chevaux qui arrivent. On ne sait jamais ce qui peut arriver et personne n’est à l’abri d’une blessure, mais je suis très motivée. Toutes les planètes devront être alignées pour que cela fonctionne, mais c’est clairement un but.

Histoire de rattraper Nick Skelton, avec deux médailles d’or olympiques?

Définitivement! J’aimerais moi aussi en avoir une en individuel. Je ne manque jamais de lui rappeler que c’est moi qui, de nous deux, ai décroché la première médaille d’or. Mais ensuite, il en a gagné deux d’affilée (ndlr. par équipe en 2012 à Londres et en individuel à Rio en 2016)!

Quel rôle joue Nick à vos côtés depuis qu’il a pris sa retraite sportive?

Chacun de ses conseils est bon à prendre. On forme une équipe depuis plus de 15 ans, et c’est réconfortant de l’avoir à mes côtés. Il me dit parfois des choses que je n’aime pas entendre, mais on vise tous les deux le même but. Par ailleurs, il aide beaucoup les élèves. Il a mis du temps pour comprendre notre système, mais il est désormais une pièce maitresse de notre équipe. Les élèves le respectent énormément. Nick a aussi appris à apprécier ces relations, notamment avec Brian Moggre. Il est un modèle pour Brian et ils travaillent très bien ensemble.

Même dans les plus grands rendez-vous, la pression semble n’avoir aucune prise sur vous. Qu’avez-vous en tête quand vous entrez en piste?

Cela fait tellement longtemps que je fais ça que c’est devenu un processus instinctif. Tu ressens ce qui se passe sous toi, tu te concentres sur ta stratégie. Chaque parcours te force à être au maximum du «multitasking»: tu as beau avoir reconnu le parcours et élaboré un plan, tout ne se passe pas toujours comme prévu. On ne le soupçonne sans doute pas quand on regarde une épreuve depuis les tribunes, mais en selle, on est en permanence en train d’analyser des données et d’adapter nos réactions en conséquence. Cela devient comme une deuxième nature, une capacité d’improvisation constante. On ne fait pas pour autant toujours les bons choix sur le moment, mais on devient capable de réagir extrêmement vite.

Qu’est-ce qui vous rend la plus heureuse à cheval au quotidien?

Quand je gagne! Et notamment des championnats, comme les Jeux Mondiaux de Tryon où, en 2018, on a décroché l’or devant notre public. Monter pour mon pays me procure un sentiment incroyable. Mais au fond, j’aime tout simplement les chevaux. Si je m’écoutais, je pourrais dormir à l’écurie pour passer plus de temps avec eux.

Si vous deviez recommencer votre carrière aujourd’hui, referiez-vous les mêmes choix?

C’est une question difficile. Je n’ai jamais regretté aucun des choix que j’ai fait. J’ai eu la chance de vivre une première expérience olympique à 24 ans, mais je n’avais aucune idée de ce que je faisais, à l’époque. C’était complètement fou. Ce n’est que vers 35 ans que j’ai vraiment compris ce qu’était le sport. Si je l’avais su avant, je serais partie plus vite en Europe. Regardez Brian Moggre: il a gagné la Coupe des Nations d’Aix-la-Chapelle à 19 ans. A son âge, je ne savais même pas où était Aix-la-Chapelle! Mais je dois reconnaître que j’apprécie d’autant plus les succès que j’y suis venue sur le tard. Donc je ne pense pas que je changerais quoi que ce soit.