IL NE SUBSISTE QUE QUELQUES DIZAINES DE REPRÉSENTANTS DE LA RACE INDIGÈNE DES ÎLES FÉROÉ. UNE POIGNÉE D’ÉLEVEURS LUTTENT POUR SAUVER CETTE ESPÈCE PARFAITEMENT ADAPTÉE AU CLIMAT DE CE TERRITOIRE ISOLÉ. MAIS LE DÉFI EST DE TAILLE.

C’est un archipel battu par les vents de l’Atlantique nord, entre l’Ecosse et l’Islande. Un territoire bordé de falaises et de pics où le vert de l’herbe tranche sur le gris de la roche volcanique. Un chapelet de 18 îles où le temps semble s’être arrêté et où les touristes sont rares, plus connu pour ses chasses à la baleine que pour ses paysages sauvages. Et que pour ses poneys.

Un sifflement retentit sur la lande. Deux silhouettes noires lèvent la tête à l’appel d’Anna Louisa Joensenavant de se diriger vers elle au petit trot, leur crinière flottant dans les bourrasques. Le tableau est d’autant plus pittoresque que le poney des Féroé a frôlé l’extinction. «En 1960, il ne restait plus qu’un étalon et quatre juments», explique Anna Louisa, enseignante, en passant les doigts dans le poil épais de l’un de ses protégés. C’est grâce aux efforts d’Anna Louisa et de quelques éleveurs que la race a pu subsister: aujourd’hui, 80 de ces petits chevaux s’ébattent sur les reliefs basaltiques des Féroé. Mais la race est loin d’être tirée d’affaire. 

INSTINCT SAUVAGE

Nous sommes sur l’île de Streymoy, non loin de Tórshavn, la capitale des Féroé. Le climat océanique n’effraie pas ces poneys. Il faut dire qu’ils ont été forgés par la pluie et le vent: leur peau est épaisse et grasse, leurs pieds étonnamment larges. Un novice serait tenté de dire qu’ils ressemblent à des Islandais. Anna Louisa n’est pas de cet avis: «Ils sont plus petits et plus robustes que les Islandais, dit-elle. Ces derniers ont été sélectionnés pour la monte, alors que les poneys des Féroé sont restés à l’état sauvage. Ils sont bornés, mais lorsque vous parvenez à les convaincre de travailler, ils le font volontiers.» D’ailleurs, une étude portant sur la génétique des poneys insulaires a récemment montré qu’il s’agissait d’une race distincte. Alors d’où vient celui que l’on appelle Fjallaross, «cheval des montagnes»? Peut-être d’Irlande,d’Ecosse ou du Danemark: la légende veut qu’un monarque de l’âge de fer se soit égaré et ait accosté par erreur aux Îles Féroé avec hommes et chevaux. Au fond, peu importe d’où ils viennent: depuis des siècles, les poneys prêtent main-forte aux Féringiens. 

LA SURVIE PAR L’EXPORT

La race indigène a beau avoir une longue histoire et pouvoir compter sur les efforts de quelques éleveurs passionnés, sa survie n’est pas assurée. «Paradoxalement, monter à cheval n’est pas dans les habitudes des Féringiens, dit Anna Louisa. Par ailleurs, les îles ne sont pas grandes et les pâtures prioritairement réservées à l’élevage bovin.» Si les effectifs de poneys des Féroé ont certes augmenté ces dernières années, des difficultés subsistent. «Puisque tous les individus descendent d’un seul étalon, le phénomène d’inbreeding est inévitable, dit Maria Joensen, la fille d’Anna Louisa. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de signes de dégénérescence due à la consanguinité, à l’exception de certaines juments qui ne parviennent pas à porter ou perdent leurs poulains.»

Le seul espoir de garantir la survie de la race serait d’exporter des poneys à l’étranger, mais c’est impossible pour l’instant: «Quelques éleveurs danois seraient prêts à en acquérir, mais le gouvernement des Féroé ne délivre pas de passeports permettant aux chevaux de voyager. Nous essayons de mettre de la pression sur nos dirigeants. En attendant, la seule solution serait de prélever un ovule fécondé et de le transporter par avion pour l’implanter sur une jument du même gabarit. C’est hors de nos moyens.»

PONEYS VOLANTS 

Pour tenter d’assurer la survie de la race, Anna Louisa Joensen et d’autres éleveurs ont établi un plan de reproduction. Afin d’optimiser le brassage génétique, il faut parfois emmener une jument à un étalon vivant sur une autre île. La semaine dernière, l’une des ponettes est partie pour l’île de Mykines, à la pointe ouest de l’archipel, suspendue sous un hélicoptère. «Elle n’a pas eu l’air impressionnée par le vol», sourit Anna Louisa. Il faut dire que ces poneys connaissent le vide, eux qui paissent parfois à quelques centimètres de falaises plongeant vers l’océan. D’ailleurs, voilà les poneys qui repartent au galop profiter de la vaste étendue d’herbe qui ondule sous le vent. Rustiques et farouches, ils sont à l’image de ces îles. Comme s’ils faisaient partie du paysage. Mais nul ne sait pour combien de temps encore.

Cet article est paru dans Equi Book n°26, à Knokke Hippique 2022