Quabri de l’Isle, Hickstead, Rebozo ou Fine Lady, ces cracks ont tous en commun un homme : Eduardo Felix, vétérinaire d’origine portugaise, veille sur certains des meilleurs chevaux du monde. Vétérinaire officiel de l’équipe du Canada, le quadragénaire basé en Belgique sillonne la planète pour apporter soins et conseils dans de prestigieuses écuries.

En quoi consiste votre travail au quotidien ?

C’est un travail de longue haleine : je suis mes clients de très près afin de garantir que les chevaux soient « fit to compete » tout au long de la saison. Je m’organise en fonction du programme de concours afin de permettre aux chevaux de rester en très bonne santé et d’optimiser leurs performances.

Ce qui suppose d’avoir une clientèle fidèle…

Oui, tout à fait. Je me concentre uniquement sur la médecine du sport et l’orthopédie. S’il y a une quelconque urgence, je redirige les cavaliers vers une clinique. Je collabore notamment avec Eric Lamaze et Pedro Veniss depuis plus de 10 ans. Je n’ai pas de clinique, je vais exclusivement contrôler les chevaux dans les écuries. Je partage mon temps entre l’Europe, les Etats-Unis et le Moyen-Orient.

Parlez-nous de votre parcours…

Je monte à cheval depuis tout petit et ai toujours été proche des animaux. J’ai fait de la compétition à un niveau national au Portugal. Au moment de choisir un cursus, les études vétérinaires se sont imposées comme une évidence. Dès ma première année d’université au Portugal, j’ai travaillé avec un maréchal toutes les semaines et dès la deuxième année, j’ai suivi un vétérinaire équin. Une fois mes études terminées, je suis parti en Espagne, à Séville, où j’ai fait mon premier internat dans une clinique équine généraliste. A suivi une spécialisation en orthopédie à Newmarket, en Angleterre et un séjour en Belgique. C’est là que j’ai rencontré Neco Pessoa. Le hasard a voulu que Neco et Rodrigo aient besoin à ce moment précis d’un vétérinaire pour prendre soin de leurs chevaux en Belgique. C’est en 2006 que j’ai commencé à travailler avec la famille Pessoa. Neco Pessoa a été comme un père pour moi, il m’a ouvert les portes du haut niveau. J’ai pu faire la connaissance de vétérinaires beaucoup plus expérimentés que moi, et cela m’a fait acquérir rapidement une précieuse l’expérience.

Comment gère-t-on son emploi du temps quand on est sans cesse en route aux quatre coins du monde et père de famille ?

C’est assez compliqué ! Mon épouse, elle aussi vétérinaire, et moi sommes parents de jumeaux de 16 mois. C’est une lutte quotidienne pour essayer de trouver un équilibre. Heureusement, ma femme est exceptionnelle et compréhensive, car mon travail est aussi ma passion : quand je suis à la maison, je passe mes week-ends à suivre en direct les parcours de mes clients !

Montez-vous toujours à cheval ?

Je monte encore de temps en temps, notamment un cheval qu’Eric Lamaze m’a donné, mais uniquement pour le plaisir.

Faut-il être cavalier pour être un bon vétérinaire ?

Pas forcément, mais je pense que cela aide, notamment pour comprendre le langage de nos clients. C’est d’autant plus le cas avec des professionnels qui misent beaucoup sur leur sentiment. Billy Twomey ou Pedro Veniss, par exemple, sont des cavaliers qui ont énormément de feeling. Si vous avez monté à cheval, vous arrivez à comprendre ce qu’ils veulent vous expliquer. C’est en parlant avec le cavalier que l’on arrive à trouver une solution pour améliorer les performances d’un cheval.

Quel est votre rôle en tant que vétérinaire de l’équipe du Canada ?

Lorsque mes chevaux sont sélectionnés pour un grand championnat, on met en place un programme de concours, de travail et de soin pour qu’ils arrivent à cette échéance dans une forme optimale. Cette année, par exemple, les Jeux panaméricains sont un rendez-vous important. Mon travail s’insère dans une mécanique globale, et consiste surtout à déterminer des questions de timing. Si un cheval, par exemple, souffre d’une blessure chronique, mon rôle est de conseiller au mieux le cavalier, en lui disant à combien de concours il peut participer et sous quelles conditions, afin de ne rien forcer. Le but est que le cheval arrive en excellente forme pour notre objectif.

Et lorsque la compétition a commencé, en quoi consiste votre travail ?

Une fois un championnat lancé, j’observe les chevaux et suis leur état de forme. Je les contrôle quotidiennement d’un point de vue physique, évalue leurs besoins en vitamines, effectue des prises de sang si j’estime que c’est nécessaire afin de garantir leur bonne condition.

Votre statut implique parfois de refuser des chevaux pour des championnats. Comment gérez-vous cela ?

En amont de la compétition, le chef d’équipe m’annonce les cavaliers qu’il pense sélectionner et me demande parfois d’aller contrôler les chevaux sur lesquels il a des doutes. Si ses doutes s’avèrent fondés, je lui conseille de ne pas compter sur le cheval en question. Pour moi, c’est un stress constant. Quand un cheval va bien et gagne des concours, les gens ne pensent pas au vétérinaire, mais lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu, c’est toujours sa faute ! Nous avons toujours beaucoup de pression, mais je la supporte plutôt bien. J’ai officié lors de trois Jeux Olympiques et de trois championnats du monde, donc je commence à avoir une certaine expérience.

Quel regard portez-vous sur le haut niveau ?

D’un point de vue vétérinaire, c’est beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’il y a quelques années de maintenir les chevaux en bonne forme tout au long de la saison. Il y a énormément de concours, et les parcours sont toujours plus éprouvants. D’un autre côté, les règles sont devenues beaucoup plus strictes en matière de médication : il n’est pas question d’arriver au concours avec un cheval qui n’est pas au top de sa forme. Cela signifie que le rôle du vétérinaire réside dans la prévention. A l’écurie, nous devons être là pour observer les chevaux, surtout après les gros concours, de façon à leur permettre d’aborder sereinement les prochaines échéances.

Concrètement, comment suivez-vous un cheval de très haut niveau ?

Prenons l’exemple de Fine Lady, la jument d’Eric Lamaze. Elle a 15 ans et je m’en occupe depuis ses 7 ans. Je la vois presque toutes les semaines. Du lundi au mercredi, je me rends dans les écuries de mes clients pour contrôler leurs chevaux. J’ai mis en place toute une procédure pour être capable de dire rapidement au cavalier si son cheval peut sauter ou non, et si, dans ce cas, il faut prévoir un programme de réhabilitation avec de la physiothérapie ou encore des soins aux articulations, aux tendons ou aux ligaments.

Avez-vous remarqué une évolution dans le type de blessures que subissent les chevaux de sport ?

Oui, j’ai vu beaucoup de changements depuis 10 ans. A l’époque, les chevaux étaient souvent touchés par des problèmes aux pieds. Aujourd’hui, avec les fibres présentes dans les sols, ces cas ont diminué, mais on constate beaucoup plus de chevaux blessés aux suspenseurs. Pourquoi ? Parce que si un cavalier veut remporter une épreuve, il doit galoper à une vitesse très élevée. Grâce à la nouvelle technologie des sols, on peut entrer dans un tournant à plein régime sans risquer de glisser et de tomber.

Quel est le secret de la longévité d’un cheval de sport ?

Un bon maréchal, et un bon travail chaque jour ! J’ai coutume de dire que le premier vétérinaire, c’est le cavalier : s’il monte mal son cheval, le cheval ne peut pas travailler de la bonne manière. Le vétérinaire aura beau être là pour soigner le cheval chaque semaine, cela ne pourra pas fonctionner si le travail n’est pas fait correctement. Heureusement, je travaille avec de très bons cavaliers ! C’est différent de travailler pour un Pedro Veniss que pour un cavalier amateur : si je lui dis comment procéder après un traitement, je sais qu’il fera exactement ce que je conseille. Ce n’est pas pour rien si, à 15 ans, Quabri de l’Isle est toujours dans une forme éblouissante. J’ai la chance de l’accompagner depuis ses 4 ans. Avec le temps, nous avons compris comment il fonctionne et avons pu faire en sorte qu’il reste compétitif.

Lorsqu’éclatent des cas de dopage, on y associe le vétérinaire. Comment gérez-vous cet aspect de votre métier ?

Certains nous voient comme des criminels, parce que beaucoup de gens pensent que nous sommes là pour doper les chevaux. Bien sûr, ce n’est pas le cas, le job d’un vétérinaire est de garantir le bien-être des chevaux, de prendre soin d’eux comme des athlètes, et non pas de cacher un problème ou une blessure. Mais fatalement, le vétérinaire est systématiquement pointé du doigt lorsqu’il y a un incident.

Aujourd’hui, on parle beaucoup de la distinction entre le bien être des chevaux et le dopage…

C’est un point sur lequel il faut reconnaître l’implication de la Fédération équestre internationale, qui effectue un important travail d’information, aussi bien vis-à-vis des professionnels que du grand public. Ces directives nous permettent de soigner les chevaux en toute connaissance de cause. Il faut rappeler que la vision de la médication chez les chevaux est beaucoup plus stricte que chez les êtres humains.

Comment voyez-vous l’avenir du sport ?

Difficile à dire, mais je pense que nous allons devoir passer par une réorganisation du haut niveau. On doit prendre du recul et se demander ce qui est en train de se passer avec notre sport. Des concours qui ont une longue histoire sont boudés par des cavaliers qui privilégient des circuits plus lucratifs, et cela m’attriste. Notre sport perd de son charisme.

Qu’est-ce qui vous donne foi en l’avenir du saut d’obstacle ?

Ma motivation vient du fait de travailler avec des gens passionnés. Je côtoie Eric Lamaze, un homme qui est habité d’une force incroyable, en particulier dans la période difficile qu’il traverse actuellement. Collaborer avec des gens comme lui me donne de la force et de l’enthousiasme, et l’envie de me surpasser chaque jour. En tant que vétérinaire, on partage les moments difficiles, mais aussi des instants de joie incomparable. Il y a la médaille d’Eric avec Fine Lady aux Jeux olympiques de Rio en 2016, la présence de deux chevaux que je suivais, Hickstead et Rebozo, dans la finale à 4 des Jeux mondiaux de Lexington en 2010, la victoire de Pedro Veniss et de Quabri de l’Isle dans le Grand Prix de Genève en 2016 ou encore celle d’Eric Lamaze avec Hickstead dans celui d’Aix-La-Chapelle en 2010. Dans ces moments, vous êtes fier de faire ce métier.