Quitter l’Irlande du Nord ? Hors de question, pour Joanne Sloan Allen et Sameh El Dahan. Le duo a accueilli Equi Book dans ses écuries situées à quelques kilomètres de Belfast. Bienvenue chez Sycamore Stables.

Encadrée de hautes haies, la route serpente dans la campagne verdoyante, les pâturages s’étendent à perte de vue, faisant presque oublier que nous nous trouvons à tout juste un quart d’heure de route de Belfast. Au cœur de ce patchwork semé de grands chênes où la pluie qui vient de cesser a laissé ici et là de grandes flaques, un portail ressemble à tous ceux que l’on rencontre dans les quartiers résidentiels de ce coin d’Irlande du Nord. On hésite, jusqu’à apercevoir sur le crépi blanc cassé du mur une plaque frappée du nom que l’on cherchait : « Sycamore Stables ». Inconnues du grand public il y a encore quelques années, les écuries de Joanne Sloan Allen connaissent leur heure de gloire à l’été 2018, lorsque son explosive Suma’s Zorro remporte le Grand Prix de Calgary, sous la selle du fin Egyptien Sameh El Dahan. Le voilà justement qui nous fait signe, du grand paddock extérieur où il détend un jeune cheval. « Installez-vous au chaud dans le club house, dit celui qu’ici tout le monde appelle Sam. On vous rejoint dans une minute. »

Derrière les carreaux, le vent agite les arbres et les massifs. Dans la pièce qui jouxte le manège, un simple hangar de tôle grand ouvert sur le paddock, un ruban de vapeur s’élève des tasses de café posées sur la table de bois. Les installations de Joanne Sloan Allen sont divisées en trois sites. Il y a les Sycamore Stables, où sont stationnés les chevaux de compétition, et il y a deux autres écuries, l’une et l’autre à quelque 5 minutes de route de là, où les chevaux destinés à l’élevage profitent d’immenses prés verdoyants. Sur le site principal, manège, paddock et écuries sont entourés d’un marcheur, d’un rond de longe, d’une piste de galop et d’un terrain en herbe, sans oublier les nombreux chemins qui sillonnent la campagne, permettant aux chevaux de Joanne et Sam de s’entraîner à l’extérieur.

L’Irlande du Nord a beau être loin des grands concours, le charme et le calme du lieu compensent les interminables trajets nécessaires pour rejoindre le continent. « C’est très important pour nous que nos chevaux soient heureux et ici, ils le sont vraiment, dit la propriétaire des lieux, regard bleu azur et sourire éclatant. Quand on part en concours, on ne quitte pas le pays pour un seul week-end, on fait en sorte d’enchaîner 3 ou 4 semaines de compétition. Et puis lorsqu’on revient, on sent que les chevaux peuvent vraiment se ressourcer. Vous savez, c’est comme quand vous dormez plusieurs jours à l’hôtel, quel bonheur c’est de retrouver son lit ! »

Un succès retentissant

Joanne Sloan Allen est née ici, et c’est là, juste à côté de la maison de ses parents, qu’elle a installé ses écuries. Il y a une dizaine d’années, elle téléphone à Cian O’Connor pour trouver un cavalier et le médaillé olympique irlandais la met en contact avec Sameh El Dahan, rencontré lors d’un stage en Egypte. Le courant passe, la collaboration démarre. Depuis, le tandem a réussi des exploits, dont un qui ne passe pas inaperçu : en 2018, Sameh El Dahan remporte le mythique Grand Prix de Calgary. Associé à sa généreuse Suma’s Zorro, acquise à l’âge de 6 mois par Joanne, l’Egyptien s’impose dans l’épreuve reine de ce qui est l’un des plus prestigieux concours de la planète. Le genre d’exploit qui change une vie. « Notre sport est fait de hauts et de bas, souffle Sam. Quand tu as conquis un tel succès, cela t’aide à traverser des périodes plus difficiles, comme celle que je vis actuellement. Je sais que j’en suis capable, donc cela me permet de garder la motivation et de continuer. »

Un futur olympique ?

La suite de l’histoire, Sam l’écrira sous les couleurs de la Grande-Bretagne. Suite à une non-sélection lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, pour lesquels il avait pourtant aidé l’Egypte à décrocher un ticket historique, et d’autres désaccords avec sa fédération nationale, il décide en 2021 de changer de passeport. Rien de plus normal que d’opter pour la Grande-Bretagne pour celui qui y a posé ses valises il y a plus de 10 ans. En 2023, il pourra courir ses premières épreuves sous pavillon britannique dans l’espoir d’être de la partie pour les championnats d’Europe avant, pourquoi pas, les JO de Paris 2024. Ayant participé à une finale de Coupe du Monde et à deux Jeux Equestres Mondiaux – Caen et Tryon –, Sameh peut se reposer sur une certaine expérience de ces grands rendez-vous. Un sérieux avantage. « Vous voulez que je vous raconte une anecdote ? », lance-t-il par-dessus son café. « Il y a quelques années, j’avais déjà fait un sans-faute dans la première manche du Grand Prix de Calgary. Entre les deux parcours, je me suis laissé distraire par les appels et les messages de félicitations que j’avais reçu. En seconde manche, j’ai commis trois fautes parce que je n’étais plus suffisamment concentré. En 2018, après ma première manche sans faute, j’ai repensé à cette erreur. J’ai su rester pleinement mobilisé sur mon objectif… et j’ai gagné. » Et le cavalier de confier qu’il n’est pas intéressé que par les sports équestres, bien au contraire. « Je suis un fan de sports au sens large. Je peux vous dire qui a gagné la dernière compétition dans à peu près n’importe quelle discipline. Je suis fasciné par les grandes histoires des athlètes, ce sont des success stories qui m’inspirent. »

Un système qui fait ses preuves

Pour atteindre ses prochains objectifs, Sameh El Dahan peut compter sur trois chevaux de tête, WKD Aimez-moi, WKD Toronto et Wicked Enigma, trois chevaux qui ont suivi le même itinéraire que la star de l’écurie, puisqu’ils ont été formés depuis toujours ou presque au sein des Sycamore Stables. Parce que Joanne Sloan Allen et Sameh El Dahan aiment forger leurs chevaux dès leur plus jeune âge. « On leur laisse le temps de grandir, et on ne les juge pas avant l’âge de 6 ans, détaille Joanne. Nous savons que notre système fonctionne puisque plusieurs de nos chevaux ont atteint le haut niveau. J’en suis à ma troisième génération de poulains et ils sont tous très bien dans leur tête. Je suis convaincue que l’environnement dans lequel ils grandissent y est pour beaucoup. »

Chaque année, entre trois et dix poulains voient le jour dans le fief nord-irlandais de Joanne, où vivent une centaine de chevaux en tout. Si l’élevage vit du commerce et se focalise sur le sport de haut niveau, tous les chevaux ne sont pas faits pour briller en 5*. « Ils sont vendus à des cavaliers amateurs, et lorsqu’ils les rendent vraiment heureux, j’en suis très fière. Cela me procure un bonheur immense, parce que je suis profondément attachée à mes chevaux. »

Parmi les étalons choisis par Joanne, on pourrait citer Mylord Carthago, Emerald, Solid Gold, Je t’aime Flamenco ou encore Quabri de l’Isle. « L’essentiel, c’est qu’ils correspondent à mes juments. En 2023, nous aurons plusieurs poulains de notre jument de tête Aimez-moi. L’un avec Quabri et l’autre avec Tangelo. On se réjouit ! » Quant à l’affixe WKD qui précède le nom de chacun des chevaux de l’élevage, il rend hommage au sponsor principal de l’écurie, l’entreprise des parents de Joanne, qui permet à cette dernière et à son cavalier d’appréhender l’avenir sereinement.

Venu de l’Atlantique Nord, le vent ne faiblit pas, agitant les haies autour du paddock dont le sable semble luire sous le ciel chargé. La luminosité baisse, mais il n’est pas encore temps de rentrer se réchauffer. Joanne part pour le rond de longe avec l’un de ses chevaux à la main, Sam remonte le col de sa veste et se remet en selle. Les grandes échéances de demain se préparent aujourd’hui.  

Suma’s Zorro : une carriériste

La petite alezane Suma’s Zorro tient une place particulière dans le cœur de Joanne Sloan Allen et de Sameh El Dahan. « Elle sait se faire comprendre et elle comprend tout, sourit Sameh. Elle aime toujours autant sauter, elle adore aller en concours, mais elle n’a plus la même aisance pour s’élancer sur des parcours d’1,65m. Je ne veux pas la prendre comme 2e ou 3e cheval, je ne peux pas lui faire ça, pas après tout ce qu’elle m’a apporté. Mais on ne veut pas non plus la mettre à la retraite, elle a tant de plaisir

en concours. C’est pour cela que Joanne la monte désormais. » Le couple a d’ailleurs signé de bons parcours à Rome en septembre dernier dans le CSI1*.

Alors, un poulain de Zorro est-il au programme ? « C’est une question très délicate pour le moment, explique Joanne. Ses origines sont tellement spéciales que j’aurais peur de faire un mauvais croisement. Je réfléchis encore, mais si je me décide à la mettre à l’élevage, je la croiserais avec un poney. Et j’utiliserais

une mère porteuse, car je ne crois pas que cela l’intéresse : quand il y a des poulains dans les environs, les juments sont toutes en alertes, sauf elle, qui préfère aller se cacher dans l’écurie. Zorro, c’est une career girl ! » Ce qui est sûr, c’est que si la jolie alezane n’est plus l’athlète n°1 de l’écurie, elle reste la n°1 dans les cœurs des gens des Sycamore Stables.

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